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May 19, 2025
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La règle infans conceptus et le point de départ de la personnalité juridique

Notions concernant la règle infans conceptus

Le règle infans conceptus est la formule abrégée de l’adage latin « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur » signifiant « l'enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu'il pourra en tirer avantage ».

Exemple classique:   Un père décède avant la naissance de son enfant. À certaines conditions, l’enfant pourra hériter de son père, alors même qu’il n’était pas encore né, mais simplement conçu.

Il s’agit de l’exception au principe selon lequel la personnalité juridique s’acquiert par la naissance.

Pour bien appréhender ce concept, il faut d’abord définir celui de la personnalité juridique, ainsi que le principe de simultanéité auquel la règle infans conceptus fait exception.

La personnalité juridique

La personnalité juridique est l’aptitude pour une personne à être titulaire de droits subjectifs civils, c’est-à-dire de droits individuels par opposition au droit objectif. Celle-ci peut également prendre l’appellation de capacité de jouissance

Exemple de droit subjectif civil : un droit de créance, le liberté d’expression, etc.

À quoi sert cette notion de capacité de jouissance ? À différencier les humains des choses, au sens juridique du terme.

Exemple: Un mineur non-émancipé dispose de la capacité de jouissance parce qu’il est titulaire de droits subjectifs civils. Il peut parfaitement avoir un droit de propriété sur un immeuble, par exemple.

Il faut bien distinguer la capacité de jouissance de la capacité d’exercice. Cette dernière est d’une plus grande intensité que la capacité de jouissance car elle permet, en plus d’en être titulaire, d’exercer ses droits subjectifs civils. 

Exemple: L’enfant mineur non-émancipé, bien qu’il puisse être titulaire de droits subjectifs civils, ne dispose pas de la capacité d’exercice car il n’est pas en mesure de poser seul des actes concernant ces droits. Pour reprendre notre exemple, l’enfant titulaire d’un droit de propriété n’est donc pas autorisé à décider seul de la vente (lien hypertexte vers l’article sur la vente) de son immeuble.

L’incapacité d’exercice touche deux situations, l’une où l’incapacité est la règle, l’autre l’exception. 

La première est la minorité. La minorité entraîne, par principe, une incapacité d’exercice. Elle a pour vocation de disparaître à la majorité de la personne, de la même manière qu’elle est apparue, automatiquement.

La seconde forme d’incapacité d’exercice est celle qui frappe les personnes majeures vulnérables. Il s’agit de personnes qui à cause de leur état de santé (en général d’une dégénérescence ou déficience de leurs capacités intellectuelles) ne peuvent plus assurer la gestion de leurs intérêts patrimoniaux et/ou personnels.

Point de départ de la personnalité juridique

Le principe : la simultanéité avec la naissance

La règle est simple : la personnalité juridique s’acquiert par le simple fait de la naissance. Il s’agit d’un événement instantané. Mais nous allons voir que ça n’a pas été si évident.

L’acquisition de la personnalité juridique suppose deux conditions : (a) la naissance d’un enfant (b) vivant et viable.

La naissance

La naissance marque le départ de la personnalité juridique. Cependant, la naissance, au sens biologique du terme, est un processus qui n’est pas instantané comme le droit veut nous le faire croire. Bien au contraire, la naissance est un étape qui dure en général plusieurs heures.  Il a donc fallu choisir un moment bien précis durant le processus d’accouchement qui servirait de point de départ à la personnalité juridique.

Le critère civil de la naissance est l’autonomie physiologique de l’enfant par rapport à sa mère. La représentation de ce critère se fait symboliquement par la section du cordon ombilical. Dès cet instant, il y a acte de la naissance de l'enfant sur le plan juridique. 

Parenthèse : En droit pénal le moment qui marque le départ de la personnalité juridique est le moment où le travail de l’accouchement commence. Avant cela, le fœtus ne bénéficie pas de la protection de la Loi pénale. La naissance a donc une acception différente que l’on se place sous l’empire du droit civil ou du droit pénal.

D’un enfant vivant et viable

En plus de naître, l’enfant doit être vivant (et viable) pour disposer de la personnalité juridique. La détermination de la vie à la naissance dépend d’une série de facteurs scientifiques qui convergent ou non vers cette constatation. 

Quant à la viabilité du nouveau-né, on l’estime viable s’il est possible qu’il continue de vivre après sa naissance. Il s’agit d’une notion ô combien plus floue et qui évolue au gré des avancées scientifiques. Il est possible qu'un enfant qui naît vivant aujourd’hui, mais considéré comme non viable pourra très bien être jugé viable dans cinquante ans. 

En réalité, la doctrine retient principalement le critère de la vie à la naissance, davantage que celui concernant la viabilité, pour accorder la personnalité juridique à un nouveau-né. De manière générale, on ne prendra donc pas ce critère en compte. 

Cependant, certaines dispositions particulières du Code civil précisent la nécessité de la viabilité pour produire des effets. L’on pense notamment à l’article 331bis de l’ancien Code civil pour toutes les actions concernant la filiation. Mais également à l’article 4.4 et 4.137 du Code civil en ce qui concerne les successions et donations. Dans ces cas précis, il faudra nécessairement l’avis d’un expert qui déterminera si l’enfant était viable lors de sa naissance.

L’enfant né sans vie

L’enfant né sans vie est celui qui décède à la naissance ou dans les instants juste après celle-ci. De cette manière, la personne chargée de la déclaration de naissance n’a pas pu le faire. Il peut ainsi s’agir d’un enfant né vivant mais si peu viable que l'on sait qu'il ne vivra que quelques instants.

Étant donné l’absence de vie de l’enfant, on ne remplit pas les conditions de l’octroi de la personnalité juridique. Par conséquent, il ne fera pas l’objet d’un acte de naissance ni d’aucun lien de filiation juridique.

Cependant, le Législateur a instauré,  au sein des articles 58 et 59 de l’ancien Code civil, l’acte d’enfant sans vie. Il s’agit d’un acte symbolique et humain permettant d’individualiser l’enfant et de ne pas le considérer comme une chose, au sens juridique du terme, sous prétexte qu’il n’a pas la personnalité juridique.

Si la mère accouche après a minima 180 jours (6 mois) de grossesse, l'Officier d'état civil dresse obligatoirement l’acte d’enfant sans vie. Si l’accouchement survient entre 140 et 179 jours après le début de la grossesse, l’Officier d’état civil dresse un tel acte uniquement si la demande en est faite par l’un ou l’autre des parents. En revanche, en dessous de 140 jours de grossesse, le Code civil ne permet pas de dresser d’acte d’enfant sans vie.

L’article 59 précise les mentions que doit comporter cet acte. Il s’agit notamment, de la date, du lieu et de l’heure de l’accouchement ; du ou des prénoms de l’enfant si les parents le demandent ; ainsi que le nom de l’enfant, mais uniquement si la grossesse a duré plus de 180 jours.

L’exception : la théorie infans conceptus

Rétroactivité de la personnalité juridique

Le concept infans conceptus permet, dans certaines circonstances, de faire rétroagir le départ de la personnalité juridique au moment de la conception de l’enfant.

Sans cette exception au principe de simultanéité, l’enfant aurait été privé de certains droits. Or les juristes romains et contemporains ont considéré qu’un enfant simplement conçu mais pas encore né devait déjà être titulaire de ces droits. Nous verrons les situations dans lesquelles cette exception s’applique.

Pour que l’exception d’infans conceptus joue, il faut la réunion de deux conditions :

- Que l’enfant simplement conçu tire un avantage de cette rétroactivité. Cette condition est directement tirée de l’adage latin.

Exemple : Si un père défunt laisse une succession dont les dettes sont plus importantes que les biens, la rétroactivité ne jouera pas. Dans ce cas, l’enfant n’aura la personnalité juridique qu’à sa naissance.

- Que l’enfant naisse ultérieurement vivant et viable. Il s’agit d’une condition suspensive. La condition suspensive est un événement futur et incertain qui fait dépendre la naissance d’une obligation ou d’un droit.

Exemple : Pendant la grossesse, le père de l’enfant conçu laisse une succession. Pas de chance, six mois plus tard, l’enfant naît avec une malformation qui ne lui permet pas de survivre plus de quelques jours. De cette façon, l’enfant naît vivant, mais pas viable. La condition ne se réalise pas, donc la rétroactivité ne joue pas. Le droit à succession ne voit jamais le jour en raison de l’effet suspensif de la condition.

Conception de l’enfant

Comme nous l’avons vu, pour que l’enfant simplement conçu puisse prétendre à en être titulaire, il faut que lors de la naissance de ces droits, l’enfant ait effectivement été conçu. Or le jour de la conception d’un enfant demeure, juridiquement comme scientifiquement, difficile à déterminer avec certitude. Seul le cas d’une conception par procréation médicalement assistée permet de le connaître.

C’est pourquoi le Législateur a mis en place deux présomptions légales au sein d’une même disposition, l’article 326 de l’ancien Code civil : 

« L'enfant est présumé, sauf preuve contraire, avoir été conçu dans la période qui s'étend du 300e au 180e jour avant la naissance et au moment qui lui est le plus favorable, compte tenu de l'objet de sa demande ou du moyen de défense proposé par lui. »

La première présomption est née d’un constat scientifique : celui qu’une naissance n’arrive que très rarement avant 6 mois ou après 10 mois de gestation. Dans l’immense majorité des cas, l’enfant est de ce fait conçu entre le 300ème et le 180ème jour précédant sa naissance. Cet intervalle de 121 jours s’appelle la période légale de conception.

Une deuxième présomption permet de considérer cette période légale de conception comme un bloc inséparable. C’est-à-dire que, peu importe la vérité biologique et non démontrée, le moment de la conception de l’enfant sera celui qui rencontre au mieux ses intérêts.

Exemple : Si le mari de la mère meurt sept mois avant la naissance de l’enfant, ce dernier sera considéré comme l’enfant légal du mari décédé de la mère, par effet de la présomption légale de paternité. Grâce à la présomption de l’article 326, la personnalité juridique de l’enfant rétroagit au jour de la période légale de conception qui lui procure le meilleur avantage. Il s’agira ici de tout moment précédant la mort du père afin qu’il ait déjà la personnalité juridique au jours de l’ouverture de la succession.

Cependant, il faut préciser qu’il s’agit de deux présomptions réfragables, c’est-à-dire que la preuve contraire peut être ramenée. Celui qui s’oppose à la rétroactivité de personnalité juridique devra alors prouver que l’enfant a effectivement été conçu moins de 6 mois avant sa naissance ou plus de 10 mois avant sa naissance (renversement de la première présomption). Ou bien qu’il a été conçu à un moment postérieur à l’événement créateur du droit (renversement de la seconde présomption).

Exemple : Pour reprendre l’exemple précité, la personne qui souhaite s’opposer à cette présomption devra prouver, soit que l’enfant a été conçu moins de 6 mois avant sa naissance (renversement de la première présomption), soit que l’enfant a été conçu entre le 7e et le 6e mois précédant sa naissance (renversement de la seconde présomption).

Applications de la règle infans conceptus

Voyons maintenant les situations concrètes dans lesquelles cette règle de rétroactivité de la personnalité juridique s’applique.

Tout d’abord, le Code civil, lui-même, contient certains cas d’application de la règle infans conceptus : 

- La reconnaissance prénatale (art. 328, §3 de l’ancien Code civil)

Le père ou la coparente peut reconnaître l’enfant, dès avant la naissance, à titre prénatal. Cela à condition bien sûr d’avoir le consentement de la mère. L’enfant disposera déjà d’un lien de filiation à la condition suspensive qu’il naisse ultérieurement vivant et viable.

- L’action en autorisation de reconnaissance prénatale (art. 328bis, al. 3 de l’ancien Code civil)

Si le père ou la coparente n’a pas obtenu le consentement requis de la mère, il ou elle peut intenter une action, dès avant la naissance, afin de se faire autoriser par le juge à reconnaître l’enfant.

- L’action en contestation de la paternité ou de la comaternité du mari ou de l’épouse de la mère (art. 328bis, al. 1e de l’ancien Code civil)

Avant la naissance, il est possible d'introduire la contestation de la présomption de paternité ou de comaternité.

- La qualité requise pour succéder (art. 4.4 du Code civil)

En vertu du nouveau Code civil, il faut être conçu au jour de l’ouverture de la succession et naître ultérieurement vivant et viable afin de pouvoir avoir des droits dans une succession.

- La qualité requise pour recevoir une libéralité (art. 4.137 du Code civil)

Pour avoir la qualité requise pour bénéficier d’une donation ou d’un testament, il faut être conçu à tout le moins au jour de la mort du testateur ou du donateur. Évidemment, cette libéralité n’a d’effet que si l’enfant naît ultérieurement vivant et viable.

- La qualité requise pour être titulaire de droits réels (art. 3.13 du Code civil)

Un enfant simplement conçu peut être titulaire de droits réels, dès avant sa naissance, à condition de naître ultérieurement vivant et viable.

D’autre part, la pratique a fait apparaître de nouveaux cas d’application de la règle analysée. Le plus célèbre d’entre eux est celui concernant la réparation d’un dommage subi par l’enfant in utero. On pense, par exemple, au handicap supporté par l’enfant à la naissance à cause d’un accident ou d’une erreur médicale. L’enfant pourra être indemnisé pour le dommage subi dans le ventre de sa mère dans le cadre d’une action en responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle.

La règle infans conceptus est un principe théorique qui est amené à s’appliquer dans des situations factuelles et inédites, mais qui devra toujours être confirmé par un juge afin de vérifier que le principe s’applique en effet. Les cas d’application sont donc, par définition, amenés à s’accroître au fil des événements qui n’ont été ni prévus par le Législateur ni tranchés par les cours et tribunaux.

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Bibliographie indicative :

GALLUS, N., « Les personnes physiques », Droit des personnes et des familles. Chronique de jurisprudence 2005 – 2010, 1e éd., Bruxelles, Larcier, 2011, p. 9 à 25.

LELEU, Y.-H., Droit des personnes et des familles, 4e éd., Bruxelles, Larcier, 2020.

MASSAGER, N, Droit civil, t. I : Droit familial et droit patrimonial de la famille, droit des biens et droits réels, Limal, Anthemis, 2020.

MASSAGER, N, Les droits de l’enfant à naître, Bruxelles, Bruylant, 1997.

VAN GYSEL, A.-C. (dir.), « Le début et la fin de la personnalité », Traité de droit civil belge, t. I : Les personnes, vol. 1 : Personnalité juridique. Relations familiales., 1e éd., Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 41 à 79.

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