
Introduction à l’article 1384 du code civil
Différentes formes de responsabilités
L’article 1384 du code civil belge établit plusieurs formes de responsabilités complexes extracontractuelles.
Premièrement, il s’agit de la responsabilité des père et mère du fait de leurs enfants mineurs. Ensuite, celui-ci énonce la responsabilité des maîtres et commettants du fait de leurs domestiques et préposés. La responsabilité des instituteurs et artisans des dommages commis par leurs élèves et apprentis fait suite à la précédente. Enfin, cet article consacre la responsabilité du fait des choses.
Place de la responsabilité extracontractuelle dans le code
Depuis l’entrée en vigueur du livre 5 du nouveau code civil, le 1er janvier 2023, le droit des obligations a fait peau neuve. Pourtant, le droit de la responsabilité extracontractuelle quant à lui est censé faire l’objet du futur livre 6 qui n’a à ce jour, pas encore été adopté. Par conséquent, il faut à l’heure actuelle, jongler entre l’ancien et le nouveau code pour le régime applicable à la responsabilité contractuelle et celui applicable à la responsabilité extracontractuelle.
La responsabilité extracontractuelle complexe
Les articles 1382 et 1383 du code établissent la responsabilité civile extracontractuelle dans sa forme la plus simple. C’est-à-dire que l’on est censé réparer tout dommage causé à autrui à la suite d’un comportement fautif de notre propre fait.
Il existe cependant d’autres formes de responsabilité extracontractuelle. En effet, il arrive parfois que l’on doive répondre du fait d’autrui lorsque c’est prévu par la loi. C’est précisément ce que signifie la notion de « responsabilité complexe ».
Nous allons désormais analyser successivement les différents cas de responsabilités complexes établies par l’article 1384 du code civil.
Principes applicables à tous les cas de responsabilités complexes
- Seul le tiers victime du dommage causé par la personne dont on doit répondre, peut se prévaloir de la responsabilité complexe
- L’on exclut la responsabilité pour autrui concernant les dommages qui sont causés à la personne dont on doit répondre.
Par exemple : un enfant qui se cause un dommage à lui-même ne peut engager la responsabilité de son instituteur sur la base de l’article 1384 du code civil (al. 4).
- En règle, il faut une faute de la part de la personne dont on doit répondre, à moins qu’il ne s’agisse d’un cas de responsabilité complexe objective (sans faute).
- La responsabilité complexe coexiste avec la responsabilité personnelle de l’auteur du fait illicite.
Par exemple : l’employeur doit répondre des fautes commises par ses travailleurs envers les tiers (article 1383, al. 3), ce qui n’interdit pas le tiers d’agir en responsabilité extracontractuelle contre l’employé directement simultanément.
- Le civilement responsable peut agir en garantie contre la personne qui a causé le dommage. L’employeur peut donc agir en garantie contre son employé après qu’il ait du indemniser le tiers du dommage causé par cet employé. Attention ! une certaine immunité protège les travailleurs puisqu’ils n’engagent leur responsabilité envers leur employeur que s’ils ont commis une faute lourde ou une faute légère répétitive.
La responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur
L’article 1384, al. 2 institue un cas spécifique de responsabilité des parents pour les comportements fautifs dommageables commis par leurs enfants mineurs.
Présomption
Cet article énonce plus particulièrement une double présomption : une présomption de défaut de surveillance et une présomption de défaut d’éducation.
Cependant, la présomption peut être renversée. En effet, si les parents parviennent à prouver par toutes voies de droit qu’ils ont correctement éduqués leurs enfants mineurs et ensuite qu’ils les ont correctement surveillés, ils ne seront pas tenus responsables.
Articulation de cette responsabilité avec la responsabilité des instituteurs (v. infra)
La responsabilité des parents n’exclut pas celle de l’instituteur. Cependant, on considère qu’à partir du moment où les enfants sont sous la garde d’un tiers (dont l’école) leur devoir de surveillance cesse momentanément.
La responsabilité des instituteurs et des artisans du fait de leurs élèves et apprentis
L’article 1384, al. 4 institue un cas spécifique de responsabilité de l’instituteur pour les faits dommageables commis par leurs élèves et en même temps un cas spécifique de responsabilité de l’artisan pour les faits dommageables commis par leurs apprentis.
Caractéristiques de la notion d’instituteur
Cette notion doit être entendue de manière large et n’est pas limitée aux seuls enseignements scolaires ou concernant la transmission de connaissances. Il peut également s’agir de toute communication ou instruction scientifique, professionnelle, artistique, sociale ou morale.
Par exemple : il peut s’agir des moniteurs sportifs, maîtres de stage, instructeurs automobiles, etc.
Champ d’application temporel
Le dommage doit être causé durant le temps où l’élève ou l’apprenti est sous la surveillance de l’instituteur ou de l’artisan.
Par exemple : on exclut les dommages causés par les élèves faisant l’école buissonnière car ils ne sont pas sous la surveillance de leur instituteur.
Renversement de la présomption
les instituteurs et artisans ont la possibilité de renverser la présomption de responsabilité en démontrant qu’ils ont correctement surveillés leurs élèves et apprentis et qu’ils n’ont donc pu empêcher le dommage d’arriver.
La responsabilité des maîtres et commettants du fait de leurs domestiques et préposés
L’article 1384, al. 3 institue également un cas spécifique de responsabilité des maîtres et commettants du fait de leurs domestiques et préposés.
Maîtres et domestiques
Les maîtres sont ceux qui emploient des domestiques, donc des personnes chargées de s’occuper de la maison du maître et des tâches ménagères du foyer.
Commettants et préposés
Le commettant est celui qui charge le préposé d’accomplir une tâche sous un lien de subordination.
Par exemple : l’employeur et son employé ou son ouvrier dans le cadre d’un contrat de travail. MAIS pas les entrepreneurs qui dans le cadre d’un contrat d’entreprise accomplissent une prestation matérielle pour le maître de l’ouvrage puisqu’il n’y a aucun lien de subordination entre les deux.
Le lien de subordination
Il est caractérisé par le pouvoir de surveillance d’une personne sur une autre et l’exercice d’une autorité sur celle-ci.
Champ d’application spatial et temporel
Le dommage doit avoir été commis dans le cadre de l’exercice des fonctions du préposé. Le dommage doit donc avoir été accompli pendant le temps des fonctions du préposé ou du domestique.
Par exemple : si le chauffeur de taxi décide d’emprunter sa voiture professionnelle après ses heures de travail et après avoir été la remettre au garage pour effectuer des courses. Dans ce cas, la responsabilité de son employeur ne pourrait pas être engagée.
Ce dommage doit également présenter un lien même indirect ou occasionnel avec les fonctions du préposé ou du domestique.
L’abus de fonction
Le commettant dont le préposé commet un abus de fonction engage en principe sa responsabilité. En effet, la jurisprudence considère qu’il existe un lien assez étroit avec les fonctions dans ce cas.
L’abus de fonction est défini par C. Dalcq comme étant “l’acte du préposé qui ne constitue pas une mauvaise exécution de ses fonctions mais qui a été accompli à l’occasion de celles-ci et pendant leur durée”.
En tant que commettant, il est toutefois possible de s’exonérer de sa responsabilité pour abus de fonction. En effet, bien que sa jurisprudence soit quelque peu incohérente à ce sujet, la Cour de cassation permet dans son arrêt du 26/10/1989, au commettant de s’exonérer si :
- Le préposé a agi sans autorisation
- Le préposé a agi à des fins étrangères à ses attributions : c’est-à-dire dans un autre but que celui de servir les intérêts de son commettant
- Le préposé s’est placé en dehors des fonctions auxquelles il est employé
Responsabilité objective
Cette responsabilité est également objective, c’est-à-dire que la faute est présumée et qu’il ne faut pas que le préjudicié ne la prouve. Le maître ou commettant peut toutefois apporter la preuve de l’absence de preuve dans le chef de leur préposé ou domestique.
La responsabilité du fait des choses
L’article 1384, al. 1 du code civil énonce un autre cas de responsabilité complexe du fait des choses que l’on a sous sa garde.
Conditions d’application
Pour que l’on puisse appliquer ce cas de responsabilité, il faut :
- Une chose : la notion est large et ne correspond pourtant pas à la notion de “bien” du livre 3 du code civil puisque les animaux sont exclus de cette catégorie de responsabilité. Ceux-ci font l’objet de l’article 1385. Il ne peut également pas s’agir d‘un bâtiment en ruine puisque l’article 1386 les concerne spécifiquement.
- La garde de la chose : le défendeur à l’action en responsabilité doit être le gardien de la chose. Il s’agit de celui qui, pour son compte, use de la chose, en jouit ou la conserve avec le pouvoir de surveillance, de direction et de contrôle. Il doit garder la chose pour son compte propre (pas le dépositaire par exemple). Ceci conformément à l’enseignement de la Cour de cassation du 22/01/2009.
Par exemple : le propriétaire si la chose est en sa possession, le locataire, l’usufruitier, l’emphytéote, le voleur, etc.
- Un vice de la chose : le vice doit consister en une caractéristique anormale de la chose susceptible de causer un dommage. Il ne s’agit pas de la même notion que le vice en matière de vente qui doit rendre la chose impropre à l’usage auquel on la destine. Le vice doit être inhérent à la chose.
Par exemple : une route abimée, un moteur défectueux, etc.
Attention, le fait qu’une chose se trouve à une place anormale ne constitue pas en soi, un vice de la chose !
- Un lien de causalité avec le dommage : conformément à la théorie de l’équivalence des conditions et de l’alternative légitime.
- Un dommage : le dommage réparable est la même notion que pour la responsabilité extracontractuelle classique. C’est-à-dire, l’ensemble du dommage.
- La victime doit être un tiers
Cas d’application
La peau de banane ayant entrainé des dommages corporels ne constitue pas en soi un vice mais constitue un vice du sol. La feuille de salade sur le sol d’un grand magasin n’a pas été retenue comme étant un vice du sol puisqu’il n’ s’agit pas d’une caractéristique anormale dans un tel lieu, etc.
Il s’agit donc d’analyser chaque situation in concreto.
Responsabilité objective
La faute est présumée et une fois que les conditions sont réunies, le gardien est tenu responsable. Il ne peut prouver son absence de faute mais il peut démontrer un cas fortuit.
Conclusion concernant l’article 1384 du code civil
Il existe encore d’autres cas de responsabilités complexes telles que celle des animaux et des bâtiments en ruine mais ils ne rentrent pas dans le cadre de l’article 1384 du code civil.
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